En 1974, j’avais sept ans. C’est l’année ou mon père a ramené à la maison la première calculatrice de poche. En 1991, j’ai acheté mon premier PC. Il y a des années qui marquent. En 1997, j’ai eu mon premier téléphone portable – c’était l’année de la naissance de ma fille, on peut dire qu’elle est née avec.
En 1974, on écoutait à la maison des disques microsillon, sur une chaîne avec un ampli Quad à lampes. On téléphonait avec un poste filaire avec un cadran rotatif. Dans les rues, il y avait des cabines pour ça, dans les bistrots, on demandait des jetons. On regardait la télé en fonction du programme. Pour voir un film, pas question de l’enregistrer, on devait aller au cinéma. Peu après, il y a eu un minitel, on ne savait pas où le poser dans la maison.
A la maison j’avais un labo photo, ou je développais et tirais longuement des photos argentiques, avec des produits brunâtres et malodorants, parfois seul, parfois accompagné dans une obscurité orangée. Il y avait beaucoup de ratés.
En 1974, les voitures avaient des phares jaunes à incandescence, et des vitres à manivelle. Dans la boîte à gants il y avait des gants, des cassettes, et des cartes routières. On pouvait se perdre sans se faire harceler par une voix synthétique. On tombait vraiment en panne, et on comprenait ce qui était cassé. On se faisait prendre en excès de vitesse par des policiers vivants qui n’avaient pas encore de casquettes.
En 1974, il y avait dans les entreprises des « pool dactylographiques » de femmes qui tapaient à la chaîne sur des IBM Selectric à boule (police Elite ou Courier), avec des doubles sur papier pelure avec une feuille de « carbone ». Il y avait de l’ambiance. Il y avait des assistantes avec des parapheurs, les chefs signaient au stylo plume. On recevait des « télex » de l’autre bout du monde, c’était tout un cérémonial crépitant. On s’en sortait très bien sans modèles Excel.
En 1974, on pouvait fumer partout, même dans l’avion. Quand on prenait l’avion pour Toulon, on arrivait à l’aérogare, on montait dans l’avion direct, même sans papiers d’identité. Ni portiques ni ordinateurs à déballer – que personne n’avait. Pour avoir son billet, on passait à l’agence de voyages.
En 1974, j’avais sept ans : je commençais a penser par moi-même. En fait, on était plus tranquille. Pour faire des recherches scolaires je lisais des vrais livres, je réfléchissais. J’allais aussi à la bibliothèque. J’appelais des copains au téléphone – en tombant d’abord sur les parents, on se présentait poliment en espérant ne pas déranger.
En 1974, 2014 c’était loin, même pour les futurologues. En 1974, je ne connaissais pas encore le théorème de Shannon : on n’avait pas encore numérisé à peu près tout. Je me disais que le monde était beau tel qu’il était : infiniment, analogiquement nuancé.
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