Temps couvert pour le « cloud » français. Pendant que notre président normal s’extasiait en février dernier auprès d’entrepreneurs français de la Silicon Valley, que notre CNIL nationale décidait sans discernement l’affichage d’avertissements sur le moindre blog qui compilerait comme celui-ci quelques statistiques de consultation, et que la NSA se moque des frontières et des citoyens, deux projets concurrents de « cloud computing » français continuent trop discrètement de se tirer dans les pattes : Cloudwatt (porté par Orange et Thalès) et Numergy (poussé par SFR et Bull). Issus d’un appel à projet de l’Etat afin de créer un « cloud souverain », ces deux consortiums comptent comme actionnaires la Caisse des Dépôts.
Or ces projets sont deux facteurs cruciaux de souveraineté et de compétitivité pour la France et pour l’Europe.
Pour ceux qui n’ont pas tout suivi depuis le début mais un peu quand même, le cloud computing, c’est la migration dans un « nuage » de serveurs distants de tout un tas de services jusqu’ici souvent hébergés localement par les entreprises. Il s’agit de déporter les ordinateurs eux-mêmes, mais aussi les applications (messageries, stockage, bureautique, web, bases de données, voire logiciels métier) chez des prestataires généralement de nationalité américaine, souvent avec une couverture mondiale, comme par exemple AWS (Amazon). Apparemment, que des avantages : redondance, flexibilité des capacités, variabilisation des coûts, sous réserve de passer par une connexion au web pour y accéder – on y reviendra.
Mais l’affaire Snowden des écoutes de la NSA (qui – on se rappelle d’Echelon – n’est pourtant pas une nouveauté) a introduit une crise de confiance pour les acteurs de l’économie numérique et plus encore pour leurs clients, qui craignent non seulement pour la sécurité de leurs transactions, mais aussi pour la confidentialité des services qu’ils utilisent : le cloud, c’est avant tout du service comme Gmail (qui est lu par Google), Maps (qui vous géolocalise), les suites bureautique de Microsoft ou de Google, les agendas partagés, les réseaux sociaux, l’hébergement de sites web …
L’affaire Snowden révèle que non seulement les données confiées au cloud sont espionnées ou espionnables, mais aussi les connexions pour y être relié, ce plus ou moins légalement grâce aux lois américaines. qui ont suivi le 11 septembre 2001. On objectera que pour ne pas être espionné, il suffit de ne pas utiliser ces services, ce qui n’est pas l’objet de ce billet. L’enjeu, c’est la question de souveraineté et de compétitivité que cela pose.
Souveraineté, car l’accord franco-allemand pour un internet européen reste… des paroles en l’air, sans aucune crédibilité puisque le conseil général de Bretagne vient par exemple de choisir les services cloud… d’Amazon ! Une plateforme souveraine est cruciale pour développer les services de l’Etat (gestion, dématérialisation et simplification administrative, open data), via :
- des procédures d’appels d’offres ad-hoc
- un guichet unique d’achat d’hébergement ou de stockage
- un répertoire centralisé et ouvert des éditeurs d’application et de services
Compétitivité, car la seule carte à jouer est celle du service, et plus exactement celle des spécificités européennes en matière de services. Numergy et Cloudwatt annoncent chacun un objectif de 500 millions d’euros de chiffres d’affaires d’ici 2016-2017. Pour y parvenir, jouer uniquement sur l’épouvantail des grandes oreilles anglo-saxonnes et sur la fibre nationale risque de ne pas suffire. Enfin, tenter de casser les prix risque d’être difficile face aux mastodontes américains (qui viennent d’ailleurs de le faire).
C’est de créer un véritable écosystème d’entreprises de services basées sur le Cloud souverain qu’il s’agit.
D’abord, ceux dont les entreprises ont besoin et surtout ceux de taille moyenne qui n’ont pas les moyens d’internaliser des fonctions entières : ERPs, services bancaires, paie, …
Aussi, ceux aux particuliers : si beaucoup de consommateurs sont prêts à payer 5€ de plus par mois pour bénéficier de la 4G, ne seraient-ils pas nombreux à payer 1 ou 2€ de plus par mois pour disposer d’une messagerie et d’un package de services de type dropbox, chat, suite bureautique, jeux, domotique, sécurité, santé, éducation… Le potentiel pour un écosystème d’éditeurs est sans limite pour un réservoir de clients aussi nombreux que les américains – tout cela sur le socle d’une confiance restaurée. Espérons que le gouvernement remanié cette semaine signe pour ce vrai projet, et signe vite !