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La fin d’Internet ou l’échec d’une utopie collective?

Internet fête ses 30 ans. En trois décennies la Toile est devenue aussi indispensable (voire davantage pour les plus jeunes) que l’eau, l’électricité ou le gaz. Dans les années 2000, le développement fulgurant du web à l’échelle planétaire s’est appuyé sur une utopie fondatrice : gratuité, égalité, collaboration. Un bel élan collectif qui déjà portait en germe les quatre facteurs de son propre cancer : marchandisation, cartellisation, discrimination et confidentialité.

Cartellisation tout d’abord. Même si l’architecture originelle initiée par la Défense américaine d’un réseau « décentralisé » – c’est à dire invulnérable à la disparition d’un de ses noeuds – persiste, c’est en fait un projet universitaire collectif qui émerge dans les années 80, encourageant la propagation des connaissances autour d’une idéologie libertaire. Pas tout à fait quand même puisque :

  • le contrôle de certaines fonctions centrales du réseau (comme l’attribution des noms de domaine) reste d’obédience américaine,
  • les fournisseurs des tuyaux télécom qui « maillent » la planète ne sont pas si nombreux et imposent des points de passage géographiques très concentrés,
  • enfin parce que quelques fournisseurs de services web captent la plus grande partie du trafic mondial : requêtes de recherche, vidéos, réseaux sociaux, applications mobiles… tout en imposant leurs conditions d’utilisation.

Discrimination ensuite.  Le débat n’est pas nouveau mais il semble maintenant perdu d’avance : ceux qui paieront plus cher seront assis en première classe, les autre seront entassés dernière : moins de bande passante, moins de services ou de fonctionnalités. Quand à ceux qui n’ont pas accès ou qui ne « savent » pas, ce sera l’exclusion – ou la résistance – y compris dans les rapports avec les fonctions régaliennes de l’Etat. Une décision récente de la FAA (le régulateur américain des télécom) vient de l’entériner, cédant aux pressions des fournisseurs d’accès internet sur quelques fournisseurs de contenus qui consomment l’essentiel de la bande passante planétaire comme YouTube ou Netflix. Et il est peu probable que l’Europe entre en résistance face aux géants américains et à l’attrait du divertissement de masse que Netflix s’apprête à diffuser depuis… le havre fiscal luxembourgeois.

Marchandisation : même si les grands acteurs mondiaux ont pour la plupart moins de 15 ans (eh oui, Google, Amazon Web Services, l’iPhone, Facebook n’ont pas vingt ans),  même si d’autres n’ont rien vu venir et ont quasiment disparu (Nokia, Sony, IBM …), ce sont avant tout des marchands. Marchands de bande passante pour les fournisseurs télécom. Marchands de données personnelles pour les fournisseurs de services, les moteurs de recherche, ou les éditeurs d’applications. Marchands tout court pour les e-commerçants. Manipulateurs dans tous les cas : avis clients bidons sur Trip Advisor, trolls dans les forums de consommateurs, faux amis Facebook ; voire escrocs : phishing, scams, spam, hoaxes… Impossible d’instaurer un contrôle car personne ne veut d’une police centralisée, et un contrôle efficace par ses pairs suppose un degré de confiance… non marchand.

Confidentialité enfin : inutile de rappeler le scandale Snowden et la faille Heartbleed. L’un sur la surveillance mondiale par la NSA (et d’autres), l’autre sur le SSL, principal protocole de sécurisation des échanges sur la toile. La semaine dernière, ce sont les éditeurs de TrueCrypt qui jetaient mystérieusement l’éponge. Dans tous les cas, la confiance des internautes-citoyens est perdue et ne se retrouvera jamais :

  • vis à vis des gouvernements intrusifs et des régulateurs impuissants
  • vis à vis des fournisseurs de services qui sont complices plus ou moins passifs
  • vis à vis des fournisseurs d’accès qui… vont nous faire payer plus cher sans apporter aucune garantie nouvelle de confidentialité

Alors, Internet, c’est fichu ? Que faire ?

  • S’en passer ? Il me semble exclu de convaincre ma fille de 17 ans qu’on peut « vivre sans ».
  • Entrer en résistance ? Trop tard, trop surveillé, trop risqué… ce serait retourner s’installer au Larzac.
  • Se coaliser ?  C’est là qu’est le vrai enjeu. De même que la révolution énergétique engendre une « relocalisation » de la consommation et du contrat social de « frugalité » qui va avec, internet doit se révolutionner. Plus exactement, ses utilisateurs se doivent à eux-mêmes de « réviser » – au sens de l’honnête homme du siècle des Lumières – leurs usages que les gouvernements et les marchands ont proposé plus vite que la société – tant à l’échelle locale que planétaire – ne pouvait les absorber.

Il y a 30 ans l’historien Francis Fukuyama prédisait avec la chute des dictatures militaires et du mur de Berlin la « fin de l’Histoire », en avançant que seule la démocratie libérale satisfait le désir de reconnaissance. Internet a 30 ans, gageons que l’histoire de la Toile ne fait que commencer. 

Retrouvez également ces chroniques sur www.cfnews.net/Le-Mag/Chroniques-techno-art-de-vivre

 

Pourquoi il faut faire émerger un Cloud européen

Temps couvert pour le « cloud » français. Pendant que notre président normal s’extasiait en février dernier auprès d’entrepreneurs français de la Silicon Valley, que notre CNIL nationale décidait sans discernement l’affichage d’avertissements sur le moindre blog qui compilerait comme celui-ci quelques statistiques de consultation, et que la NSA se moque des frontières et des citoyens, deux projets concurrents de « cloud computing » français continuent trop discrètement de se tirer dans les pattes : Cloudwatt (porté par Orange et Thalès) et Numergy (poussé par SFR et Bull). Issus d’un appel à projet de l’Etat afin de créer un « cloud souverain », ces deux consortiums comptent comme actionnaires la Caisse des Dépôts.

Or ces projets sont deux facteurs cruciaux de souveraineté et de compétitivité pour la France et pour l’Europe.

Pour ceux qui n’ont pas tout suivi depuis le début mais un peu quand même, le cloud computing, c’est la migration dans un « nuage » de serveurs distants de tout un tas de services jusqu’ici souvent hébergés localement par les entreprises. Il s’agit de déporter les ordinateurs eux-mêmes, mais aussi les applications (messageries, stockage, bureautique, web, bases de données, voire logiciels métier) chez des prestataires généralement de nationalité américaine, souvent avec une couverture mondiale, comme par exemple AWS (Amazon). Apparemment, que des avantages : redondance, flexibilité des capacités, variabilisation des coûts, sous réserve de passer par une connexion au web pour y accéder – on y reviendra.

Mais l’affaire Snowden des écoutes de la NSA (qui – on se rappelle d’Echelon – n’est pourtant pas une nouveauté) a introduit une crise de confiance pour les acteurs de l’économie numérique et plus encore pour leurs clients, qui craignent non seulement pour la sécurité de leurs transactions, mais aussi pour la confidentialité des services qu’ils utilisent : le cloud, c’est avant tout du service comme Gmail (qui est lu par Google), Maps (qui vous géolocalise), les suites bureautique de Microsoft ou de Google, les agendas partagés, les réseaux sociaux, l’hébergement de sites web …

L’affaire Snowden révèle que non seulement les données confiées au cloud sont espionnées ou espionnables, mais aussi les connexions pour y être relié, ce plus ou moins légalement grâce aux lois américaines. qui ont suivi le 11 septembre 2001. On objectera que pour ne pas être espionné, il suffit de ne pas utiliser ces services, ce qui n’est pas l’objet de ce billet. L’enjeu, c’est la question de souveraineté et de compétitivité que cela pose.

Souveraineté, car l’accord franco-allemand pour un internet européen reste… des paroles en l’air, sans aucune crédibilité puisque le conseil général de Bretagne vient par exemple de choisir les services cloud… d’Amazon ! Une plateforme souveraine est cruciale pour développer les services de l’Etat (gestion, dématérialisation et simplification administrative, open data), via :

  • des procédures d’appels d’offres ad-hoc
  • un guichet unique d’achat d’hébergement ou de stockage
  • un répertoire centralisé et ouvert des éditeurs d’application et de services

Compétitivité, car la seule carte à jouer est celle du service, et plus exactement celle des spécificités européennes en matière de services. Numergy et Cloudwatt annoncent chacun un objectif de 500 millions d’euros de chiffres d’affaires d’ici 2016-2017. Pour y parvenir, jouer uniquement sur l’épouvantail des grandes oreilles anglo-saxonnes et sur la fibre nationale risque de ne pas suffire. Enfin, tenter de casser les prix risque d’être difficile face aux mastodontes américains (qui viennent d’ailleurs de le faire).

Prix des services cloud de Google en mars 2014
Prix des services cloud de Google en mars 2014

C’est de créer un véritable écosystème d’entreprises de services basées sur le Cloud souverain qu’il s’agit.

D’abord, ceux dont les entreprises ont besoin et surtout ceux de taille moyenne qui n’ont pas les moyens d’internaliser des fonctions entières : ERPs, services bancaires, paie, …

Aussi, ceux aux particuliers : si beaucoup de consommateurs sont prêts à payer 5€ de plus par mois pour bénéficier de la 4G, ne seraient-ils pas  nombreux à payer 1 ou 2€ de plus par mois pour disposer d’une messagerie et d’un package de services de type dropbox, chat,  suite bureautique,  jeux, domotique, sécurité, santé, éducation… Le potentiel pour un écosystème d’éditeurs est sans limite pour un réservoir de clients aussi nombreux que les américains – tout cela sur le socle d’une confiance restaurée.  Espérons que le gouvernement remanié cette semaine signe pour ce vrai projet, et signe vite !

The Internet of Things : l’homme éclaté

Les fabricants de smartphone ont engagé une course à la puissance : processeurs plus rapides, connectivité accrue … Mais pourquoi au juste ?

Le téléphone, devenu smartphone,  était déjà devenu largement assez puissant pour ses usages stand-alone :  échanger par mail, chat ou réseaux sociaux, visionner une vidéo, jouer… Or Apple vient de doter son dernier modèle d’iPhone 5S d’un microprocesseur (A7) surcalibré pour ces usages.

C’est que le smartphone est en train de devenir un véritable serveur dans la poche en échangeant et en traitant en permanence des données avec les objets qui l’environnent ou avec d’autres serveurs, proches ou distants, voire situés dans le « cloud ». 

De plus en plus d’objets portés sur soi (montre, bracelet Nike, dispositif de suivi médical, vêtements intelligents, Google glasses …), ou placés dans l’environnement immédiat interagissent avec le smartphone : ce sont les objets connectés de la maison (alarme, porte, éclairage, chauffage, …) voire sur le trajet du porteur (accès au métro ou bus, péage routier, panneau publicitaire …). Les données renvoyées au smartphone sont traitées localement par une « app », voire renvoyées par le smartphone, over the air, vers un serveur plus puissant, ou vers… les objets eux-mêmes . Le smartphone devient à la fois unité centrale d’un ensemble de périphériques portables (« wearables ») et mini-serveur d’un réseau ce qui nécessite, au delà de ses fonctions propres de téléphone, de la puissance de communication, de traitement et de stockage.

Par exemple, vous prenez un café avant de rentrer chez vous : à l’approche du Starbuck’s, vous confirmez que vous prenez votre double-ginger-latte habituel, qui est prêt et prépayé lorsque vous parvenez au comptoir. Il fait froid : les fibres de votre blouson s’adaptent. En arrivant, la porte du garage s’ouvre devant votre voiture – enfin, à l’approche de votre smartphone situé dans votre poche. Vous êtes devant la porte d’entrée : la lumière s’allume dans le vestibule, votre thermostat Nest a déjà réchauffé le séjour et la cuisine 20 minutes avant votre arrivée, son serveur cloud ayant localisé votre smartphone progressant sur votre itinéraire habituel grâce à son GPS lorsque vous avez pris le chemin du retour il y a 20 minutes.

Bref, le smartphone coordonne tout un tas d’objets qui fonctionnaient jusqu’ici en stand-alone : une partie de vous-même est « augmentée », ou « déportée » vers votre environnement, et/ou vers des serveurs distants ! Poursuivons : la télé allumée, vous vous déplacez de pièce en pièce : le serveur domotique de la maison vous suit grâce au bluetooth – vous prenez un appel, il baisse le volume de la télévision automatiquement le temps de la communication. Votre compteur électrique intelligent vous signale sur le smartphone que (vos enfants n’étant pas là) vous avez consommé moins d’eau chaude que d’habitude, et vous demande de confirmer qu’il peut baisser le chauffe-eau. Et vous, quelle énergie avez-vous dépensé aujourd’hui? Un petit tour sur l’App associée à votre bracelet (Nike fuel-band)  vous l’indique. Vos invités semblent en retard? Vous êtes amis avec eux sur un réseau social qui reçoit leur localisation, et vous informe dans vos Google glasses de leur heure probable d’arrivée en fonction du trafic – lui-même calculé à distance en fonction de la densité et de la vitesse de la masse de téléphones se trouvant sur une portion de route donnée.

Le porteur est imbriqué dans un réseau de boucles de communication : le smartphone prend en charge des interactions du quotidien en interrogeant les objets environnants ou en recevant des indications déjà traitées depuis les serveurs auxquels ces objets sont connectés. Cela se fait proactivement en détectant un besoin local (ouvrir la porte, allumer la lumière, un vêtement qui s’adapte tout seul), un besoin distant (remonter le chauffage avant votre arrivée), un besoin habituel (votre Starbuck’s) ou ponctuel (baisser la télé lors d’un appel), soit en mode « pull » (à quelle heure arrivent mes invités?), ou en en mode « push » (le compteur intelligent vous demande l’autorisation de s’ajuster), voire sur demande (prendre une photo avec les Google glasses). Et même au delà : les algorithmes associés aux objets communicants vous pousse à adapter votre comportement, comme le fuel-band de Nike ou les pèse-personne et tensiomètres de Withings qui vient de lever 23,5 M€ (lire l’article CFNEWS).

A constater les start-ups et les levées de fonds qui fleurissent dans ce domaine, technologiquement, tout est prêt : le cloud et sa puissance de stockage et de processing, ca existe déjà. La puissance de calcul et la connectivité sont maintenant présents dans le téléphone. Les objets connectés le sont en permanence pour moins d’un euro par… an (lire dans CFNEWS « Sigfox se connecte à Intel Capital pour 10 M€, ou la cession de Cycleo) : ce ne sont alors plus des objets qui nous entourent, mais des objets-devenus-des-services. Le monde inanimé, platonicien, se transmute en un univers d’autant de services paramétrés, choisis, ou subis par l’homme « éclaté ».

Science fiction ? Non. Apple et Google (qui aménage à cet effet des barges géantes) travaillent sur des lieux connectés selon ces scénarios : maisons, boutiques, espaces culturels. Une gestion intelligente et globale de l’énergie est en marche : Linky d’EDF, l’offre Ijenko – qui a levé son 3ème tour… Et, le marché étant planétaire, les américains investissent en capital ou rachètent massivement les entreprises que je viens de citer.
Politique fiction ? Sûrement pas : si nos smartphones laissent des traces en continu sur les serveurs des fournisseurs d’un monde d’objets universellement connecté, vous – et moi – auront consenti, par simple confort et par facilité, à abandonner toute souveraineté sur nos données personnelles et notre « privacy » (mais c’est déjà fait) et sur … notre simple présence, où que ce soit.

 

 

 

Fonds Google d’aide à la presse : la double peine des éditeurs

Le nouveau Fonds pour l’Innovation Numérique de la Presse (FINP), annoncé en février dernier, vient de voir le jour. Il met fin – pour une durée de trois ans – à la grogne croissante des éditeurs de presse contre Google, qui tire d’importants bénéfices de publicité ciblée en référençant sans contrepartie des extraits d’articles de journaux dans ses résultats de recherche et dans son service Google-Actus. Le désaccord a finalement été scellé entre la firme de Mountain View et et l’Association de la Presse d’Information Politique et Générale (IPG), par une dotation unique de 60 M€ au FINP, financée par Google, à investir sur 3 ans dans des projets « innovants » et représentant l’équivalent de 3 ans de dotations aux précédentes aides à la presse (FNPL) soit 20 M€ par an.

Ce sont les éditeurs allemands, rejoints par les italiens qui ont allumé la mèche à l’été 2012, face à l’hégémonie du géant américain – dont la part de marché de la recherche en ligne avoisine les 90% en Europe – et qui selon eux enrichit gratuitement aussi bien les résultats de recherche proposés aux internautes que les liens sponsorisés proposés aux annonceurs grâce aux contenus rédactionnels mis en ligne par les éditeurs sur leurs propres sites web. Or les sites des journaux peinent à trouver leur modèle économique : difficulté à mettre en place un « paywall », audience directe et recettes publicitaires insuffisantes voire cannibalisant celles de la version papier, et en face … Google, hypermarché de l’information qui propose en linéaire une grande variété de sources tout en en tirant bénéfice grâce à la publicité contextuelle proposée à l’internaute. C’est un peu la « double peine » de l’éditeur web : les titres de mes papiers sont accessible gratuitement (à côté de ceux de mes concurrents), mais mes recettes sont insuffisantes sur le web (150 M€ pour la presse quotidienne et magazine) et en par dessus le marché, pour les mettre en avant davantage, il faut que je rémunère… Google en achetant des mots-clé (1,2 Md€ de recettes pour Google en France). Ce que ce dernier avait parfaitement compris dès le début en commençant par indiquer officiellement aux éditeurs grognons qu’ils n’avaient pas à se plaindre puisqu’il leur apportait précisément… une part de trafic très importante (40 à 50%), trafic sans laquelle leur situation serait bien pire.

Entretemps,  la résistance des Européens s’organise (il semblerait que nous autres Européens avons une conception de la presse qui fait que nous sommes les seuls sur la planète à s’inquiéter du constat ci-dessus). Les allemands, déjà échaudés par le projet Google Books qui numérise leurs bibliothèques, commencent par étudier la possibilité d’un « droit voisin » au droit d’auteur, qui contraindrait Google à verser une rémunération aux éditeurs web en contrepartie du référencement dans son moteur de recherche, idée suivie très vite par la France. Sur quelles bases juridiques et modalités pratiques exactes, Google relevant du droit américain complètement différent en matière de propriété intellectuelle ? On ne sait pas et on ne voit pas très bien non plus, mais la France se rallie rapidement au concept du droit voisin, qui sert de prétexte à ouvrir rapidement la table des négociations.

Mais en coulisses et par la même occasion, les deux gouvernements traitent d’un autre sujet, économiquement bien plus gros : la taxation des profits de Google dans les pays où ils sont réalisés – et non pas au Luxembourg, en Irlande ou offshore via les mécanismes classiques de sociétés écran et de prix de transfert – sans compter le manque à gagner sur la TVA . Mécanismes légaux, dont Google n’a certes pas le monopole, mais l’occasion est trop belle pour le gouvernement, en quête de recettes fiscales, de faire passer un message de « bon comportement » à un géant américain qui ne déclare que… 138 M€ de chiffre d’affaires taxable en France, message appuyé de la menace d’une enquête de Bercy.

Très bien, dira-t-on, Mmes Filipetti et Pellerin ont donc signé pour trois ans cet accord « de portée mondiale » sous l’égide de M. Hollande, entre deux acteurs privés – Google et l’IPG -, accord qui se substitue au régime jusqu’ici plus égalitaire des aides publiques à la presse papier et web gérées par le ministère de la Culture avec la CPPAP – avec une économie de 20 M€ par an pour l’Etat à court terme, et qui permet à Google de sécuriser l’approvisionnement de son moteur de recherche en nouvelles fraîches, tout en échappant (pour l’instant) au mouvement citoyen de taxation locale des profits locaux, en enterrant la notion de droit voisin à l’échelle européenne, et en redorant son image de « partenaire volontaire » fournisseur de « solutions pour les éditeurs » (qui ne sont pas nouvelles).  Tout cela aussi alors que Google inaugure ses nouveaux locaux parisiens pourvoyeurs d’emploi. Un « accord » pour trois ans donc, mais pour quelle vision de long terme ?

Cependant, des voix discordantes se font déjà entendre – la presse libre et indépendante a du bon. D’abord, qui fait partie de l’IPG au juste, seul signataire de l’accord ? Les définitions sont éclatées entre l’article D19-2 du code des postes et communications électroniques pour l’éligibilité aux tarifs réservés à la presse (papier uniquement), l’art. 39 bis A du CGI (pour des provisions spécifiques fiscalement déductibles)  et l’article 9-2 du décret 2012-484 du 13 avril 2012 (portant réforme du régime des aides à la presse) – sans compter la nécessaire reconnaissance par la CPPAP. Quid par exemple de la presse professionnelle, ou spécialisée, ou de l’information locale, pourtant en plein développement aux USA (voir une précédente chronique : pourquoi Warren Buffett croit en la presse papier).

Ensuite, quid des acteurs de la presse, nombreux, qui sont des pure players internet (dont CFNEWS fait partie) ? Dans une prise de position assez radicale – qui est à saluer -, le Syndicat de la Presse indépendante d’Information en ligne (SPIIL) revendique que « Oui, Google devrait être imposé en France pour les activités commerciales qu’il y mène. Non, Google et les autres moteurs de recherche ne doivent pas être taxés pour que les montants collectés soient reversés aux éditeurs de presse, à la manière d’une subvention déguisée. » On distingue derrière cela le constat que les acteurs historiques de la presse, éditeurs de journaux papier, ont largement bénéficié depuis dix ans du régime étatique des aides à la presse (fonds SPEL) pour prendre, parfois à grand-peine, le virage des nouvelles technologies et reconvertir leurs outils (75% des aides accordées !) et leurs équipes rédactionnelles.

Troisièmement – et cela découle du point précédent, on constate qu’il a pénurie de véritables projets d’innovation dans les dossiers examinés par le SPEL jusqu’ici. Le « Fonds Google », réservé aux projets « web », recevra-t-il des dossiers de meilleure qualité, en souhaitant financer des projets « ayant pour objectif direct la création de nouvelles sources de revenus pour les éditeurs de presse en ligne et/ou la mise en place de nouveaux modèles économiques, notamment par la production de contenus éditoriaux innovants. » ? Et surtout, l’initiateur d’une véritable innovation répugnera peut-être à confier son dossier et son business plan pour examen non seulement aux représentants de Google présents au FINP, mais aussi à ses principaux et plus gros concurrents historiques (le Figaro, les Echos, Lagardère Active) qui y siègent aussi, et se tournera peut-être vers d’autres dispositifs : crédit d’impôt recherche, prêts ou interventions en fonds propres de la BPI, aides à l’innovation…  tous dispositifs existants que le gouvernement aurait peut-être aussi bien fait de renforcer pour la presse moyennant de bien légères adaptations. M. l’Editeur, vous avez dit double peine ?

La nouvelle économie de l’impression 3D

Les imprimantes 3D arrivent chez les petites entreprises et chez les particuliers – en défrayant la chronique : on peut désormais fabriquer comme on imprime, à domicile et en temps réel, un objet en trois dimensions, avec tous les les côtés pratiques que l’on peut imaginer mais aussi tous les travers possibles comme – d’ores et déjà – un arme a feu.

Plus besoin donc d’un atelier, d’une usine, de machine-outils coûteuses et réservées aux industriels pour fabriquer, à partir d’un simple fichier informatique, un objet manufacturé. C’est une révolution à nos portes, pour les consommateurs d’un côté, les fabricants de l’autre mais aussi pour l’économie toute entière avec la disparition ou la ré-invention complètes de métiers ou de nos modes de vie. Exemples :

  • Une mise à disposition immédiate : une pièce cassée ? Plus besoin de courir les services après vente, rechercher la référence, attendre l’expédition ; plus besoin de supplier le réparateur de venir en sacrifiant une demi-journée  de RTT : en téléchargeant le fichier-plan sur le site du fabricant, vous avez la pièce quelques minutes ou quelques heures après chez vous.
  • Une personnalisation à l’infini directement chez le client : un fabricant met à disposition le plan de la pièce brute, et le consommateur choisit la personnalisation finale. Par exemple, téléchargez la forme d’un étui de smartphone et personnalisez-le … comme vous voulez, sans intermédiaire ni délai. Sans que le fabricant n’en soie forcément informé !
  • Une réduction drastique des inventaires et de la logistique pour les manufacturiers – à l’instar de la distribution des logiciels qui a vu en se dématérialisant disparaître les boîtes de CD d’installation. Ce qui veut dire, la chaîne de valeur se raccourcissant, que – tout comme la métamorphose de l’industrie musicale -la phase de création devient cruciale.

On avait déjà vu un pas timide dans le sens de la désintermédiation entre créateurs et clients comme MyFab ou l’Usine a Design (lire les articles CFNEWS), mais on fait ici un saut quantique : des métiers entiers vont donc en subir l’impact : réparateurs à domicile, livreurs et coursiers, … et notre mode de vie s’en trouver transformé :

  • Si n’importe qui peut reproduire sur son bureau en quelques minutes une clé d’appartement (en la scannant d’abord en 3D), que devient la sécurité au quotidien ? Comment les serruriers vont-ils réinventer leur métier ?
  • Quid de la contrefaçon ou de la propriété intellectuelle si les objets, au lieu d’être « achetés » sous la forme d’un fichier « authentique » auprès de leur créateur, sont piratés, dupliqués sans protection, ou frelatés ?
  • On a vu ces dernières années fleurir le débat puis l’échec des DRM dans l’industrie de la musique, qu’en sera-t-il pour les biens ?

Les acteurs du 3D printing sont déjà très convoités (lire dans CFNEWS les levées et cessions de Phenix Systems , Sulpteo , Phidias , …). Mais il reste au moins un secteur qui devrait échapper à cette révolution : l’alimentaire, qui ne devrait pas s' »imprimer » de sitôt, et les services. A suivre …

PS : une imprimante 3D, comment ca marche et combien ça coûte ? Voir cet article de C|net à l’occasion du CES 2013.

Retrouver aussi sur CFnews.net les précédentes chroniques Techno

Art, Copy & Code: le temps de cerveau disponible selon Google

Le projet, conduit dans les fameux « Labs » de Google, est parti d’une étude récente montrant que chaque américain passe en moyenne 56 minutes par jour à conduire, dont les deux tiers de ce temps seul dans sa voiture.

Google est à la recherche permanente de nouveaux espaces pour exposer les internautes à ses produits. La recherche bien sûr, plus l’email personnel et professionnel, le mobile et les tablettes avec Android et le web social avec Google+, bientôt les chaussures parlantes ou les lunettes interactives sont autant de fenêtres exposant l’internaute, aux différents « moments » de sa vie, aux mots-clé ou campagnes sponsorisés par les annonceurs utilisant les programmes Adsense et Adwords.

Encore faut-il être en position de lire son écran… ce qu’on ne peut pas faire en conduisant, le temps passé au volant étant « subi » (en attendant bien sûr la Google Car qui se conduit toute seule). Google propose ainsi avec Wolkswagen de transformer un temps « improductif » en une expérience sociale au sens du Web 2.0.

Le programme combine intelligemment une approche communautaire (les conducteurs au volant), un capital de marque (Wolkswagen) et un « moment » encore inexploité (le temps de trajet en voiture). Les conducteurs et leurs passagers peuvent ainsi jalonner leur parcours, détecter les autres participants sur la route, partager leur expérience et… gagner des points. Fini de rêvasser en conduisant ou en se laissant conduire, vous êtes engagés par Google ! De même pour les vêtements portés ou la nourriture consommée puisque le programme s’étend à d’autres marques fortes (et mondiales) comme Burberrys, Adidas, voire pourquoi pas Coca-cola ou Heineken. Au temps de la télévision hertzienne, cette stratégie – toujours dictée par les annonceurs – s’appelait la capture du temps de cerveau disponible.

Un pas de plus vers l’internet des objets et même au delà puisque le programme se veut emblématique de l' »internet of everything« , pervasif au point qu’il n’y a plus pour toute une génération de moments connectés ou déconnectés, mais une seule vie en continu à la fois réelle et digitale. Et, il n’y a pas de hasard, c’est bien le thème de la conférence SXSW de cette année 2013.