Le nouveau Fonds pour l’Innovation Numérique de la Presse (FINP), annoncé en février dernier, vient de voir le jour. Il met fin – pour une durée de trois ans – à la grogne croissante des éditeurs de presse contre Google, qui tire d’importants bénéfices de publicité ciblée en référençant sans contrepartie des extraits d’articles de journaux dans ses résultats de recherche et dans son service Google-Actus. Le désaccord a finalement été scellé entre la firme de Mountain View et et l’Association de la Presse d’Information Politique et Générale (IPG), par une dotation unique de 60 M€ au FINP, financée par Google, à investir sur 3 ans dans des projets « innovants » et représentant l’équivalent de 3 ans de dotations aux précédentes aides à la presse (FNPL) soit 20 M€ par an.
Ce sont les éditeurs allemands, rejoints par les italiens qui ont allumé la mèche à l’été 2012, face à l’hégémonie du géant américain – dont la part de marché de la recherche en ligne avoisine les 90% en Europe – et qui selon eux enrichit gratuitement aussi bien les résultats de recherche proposés aux internautes que les liens sponsorisés proposés aux annonceurs grâce aux contenus rédactionnels mis en ligne par les éditeurs sur leurs propres sites web. Or les sites des journaux peinent à trouver leur modèle économique : difficulté à mettre en place un « paywall », audience directe et recettes publicitaires insuffisantes voire cannibalisant celles de la version papier, et en face … Google, hypermarché de l’information qui propose en linéaire une grande variété de sources tout en en tirant bénéfice grâce à la publicité contextuelle proposée à l’internaute. C’est un peu la « double peine » de l’éditeur web : les titres de mes papiers sont accessible gratuitement (à côté de ceux de mes concurrents), mais mes recettes sont insuffisantes sur le web (150 M€ pour la presse quotidienne et magazine) et en par dessus le marché, pour les mettre en avant davantage, il faut que je rémunère… Google en achetant des mots-clé (1,2 Md€ de recettes pour Google en France). Ce que ce dernier avait parfaitement compris dès le début en commençant par indiquer officiellement aux éditeurs grognons qu’ils n’avaient pas à se plaindre puisqu’il leur apportait précisément… une part de trafic très importante (40 à 50%), trafic sans laquelle leur situation serait bien pire.
Entretemps, la résistance des Européens s’organise (il semblerait que nous autres Européens avons une conception de la presse qui fait que nous sommes les seuls sur la planète à s’inquiéter du constat ci-dessus). Les allemands, déjà échaudés par le projet Google Books qui numérise leurs bibliothèques, commencent par étudier la possibilité d’un « droit voisin » au droit d’auteur, qui contraindrait Google à verser une rémunération aux éditeurs web en contrepartie du référencement dans son moteur de recherche, idée suivie très vite par la France. Sur quelles bases juridiques et modalités pratiques exactes, Google relevant du droit américain complètement différent en matière de propriété intellectuelle ? On ne sait pas et on ne voit pas très bien non plus, mais la France se rallie rapidement au concept du droit voisin, qui sert de prétexte à ouvrir rapidement la table des négociations.
Mais en coulisses et par la même occasion, les deux gouvernements traitent d’un autre sujet, économiquement bien plus gros : la taxation des profits de Google dans les pays où ils sont réalisés – et non pas au Luxembourg, en Irlande ou offshore via les mécanismes classiques de sociétés écran et de prix de transfert – sans compter le manque à gagner sur la TVA . Mécanismes légaux, dont Google n’a certes pas le monopole, mais l’occasion est trop belle pour le gouvernement, en quête de recettes fiscales, de faire passer un message de « bon comportement » à un géant américain qui ne déclare que… 138 M€ de chiffre d’affaires taxable en France, message appuyé de la menace d’une enquête de Bercy.
Très bien, dira-t-on, Mmes Filipetti et Pellerin ont donc signé pour trois ans cet accord « de portée mondiale » sous l’égide de M. Hollande, entre deux acteurs privés – Google et l’IPG -, accord qui se substitue au régime jusqu’ici plus égalitaire des aides publiques à la presse papier et web gérées par le ministère de la Culture avec la CPPAP – avec une économie de 20 M€ par an pour l’Etat à court terme, et qui permet à Google de sécuriser l’approvisionnement de son moteur de recherche en nouvelles fraîches, tout en échappant (pour l’instant) au mouvement citoyen de taxation locale des profits locaux, en enterrant la notion de droit voisin à l’échelle européenne, et en redorant son image de « partenaire volontaire » fournisseur de « solutions pour les éditeurs » (qui ne sont pas nouvelles). Tout cela aussi alors que Google inaugure ses nouveaux locaux parisiens pourvoyeurs d’emploi. Un « accord » pour trois ans donc, mais pour quelle vision de long terme ?
Cependant, des voix discordantes se font déjà entendre – la presse libre et indépendante a du bon. D’abord, qui fait partie de l’IPG au juste, seul signataire de l’accord ? Les définitions sont éclatées entre l’article D19-2 du code des postes et communications électroniques pour l’éligibilité aux tarifs réservés à la presse (papier uniquement), l’art. 39 bis A du CGI (pour des provisions spécifiques fiscalement déductibles) et l’article 9-2 du décret 2012-484 du 13 avril 2012 (portant réforme du régime des aides à la presse) – sans compter la nécessaire reconnaissance par la CPPAP. Quid par exemple de la presse professionnelle, ou spécialisée, ou de l’information locale, pourtant en plein développement aux USA (voir une précédente chronique : pourquoi Warren Buffett croit en la presse papier).
Ensuite, quid des acteurs de la presse, nombreux, qui sont des pure players internet (dont CFNEWS fait partie) ? Dans une prise de position assez radicale – qui est à saluer -, le Syndicat de la Presse indépendante d’Information en ligne (SPIIL) revendique que « Oui, Google devrait être imposé en France pour les activités commerciales qu’il y mène. Non, Google et les autres moteurs de recherche ne doivent pas être taxés pour que les montants collectés soient reversés aux éditeurs de presse, à la manière d’une subvention déguisée. » On distingue derrière cela le constat que les acteurs historiques de la presse, éditeurs de journaux papier, ont largement bénéficié depuis dix ans du régime étatique des aides à la presse (fonds SPEL) pour prendre, parfois à grand-peine, le virage des nouvelles technologies et reconvertir leurs outils (75% des aides accordées !) et leurs équipes rédactionnelles.
Troisièmement – et cela découle du point précédent, on constate qu’il a pénurie de véritables projets d’innovation dans les dossiers examinés par le SPEL jusqu’ici. Le « Fonds Google », réservé aux projets « web », recevra-t-il des dossiers de meilleure qualité, en souhaitant financer des projets « ayant pour objectif direct la création de nouvelles sources de revenus pour les éditeurs de presse en ligne et/ou la mise en place de nouveaux modèles économiques, notamment par la production de contenus éditoriaux innovants. » ? Et surtout, l’initiateur d’une véritable innovation répugnera peut-être à confier son dossier et son business plan pour examen non seulement aux représentants de Google présents au FINP, mais aussi à ses principaux et plus gros concurrents historiques (le Figaro, les Echos, Lagardère Active) qui y siègent aussi, et se tournera peut-être vers d’autres dispositifs : crédit d’impôt recherche, prêts ou interventions en fonds propres de la BPI, aides à l’innovation… tous dispositifs existants que le gouvernement aurait peut-être aussi bien fait de renforcer pour la presse moyennant de bien légères adaptations. M. l’Editeur, vous avez dit double peine ?
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